C'est l'histoire d'un mec...... Moi...
Février 2004, par une bien maussade journée d'hiver. J'avais le regard triste, noyé dans les flammes de la cheminée crépitante. Assis depuis plusieurs heures déjà devant ce feu plus vivant que moi...
Je me remettais avec impatience d'une sale blessure d'escalade à la cheville, et n'avais plus touché de rocher ni de moto depuis bien des mois... La vie paraît fort difficile en ce jour qui semble nuit tellement le ciel est bas et sombre. Les reflets metalliques des nuages à travers la fenêtre transpirent le froid et l'humidité.
Le téléphone secoue ma douce torpeur, je décroche... Quelques minutes plus tard, mon oeil se ravive, les membres se réveillent et mon cerveau aussi. Une bonne nouvelle en ces temps si gris! Est-ce possible?... On me propose la reprise du travail, de gros chantiers en perspective et la promesse de ne pas chômer....!
Ni une ni deux, le moral remonte au beau fixe.... C'est en région lyonnaise que ça se passe, qu'à cela ne tienne, je dois trouver un appart', une banque, un comptable pour mes affaires.... Je dois partir....sur le champ.....enfin dès que posssible.
Le lendemain, le temps est froid, mais sec. Le soleil est glacé, mais j'entrevois le bout de son nez!
Je prépare le sac, la sacoche réservoir, je n'oublie rien. Comme un gamin partant en expé, j'étudie chaque gramme transporté. J'inspecte la moto, graisse la chaîne, fais tourner le moteur.....
Ca y est, je me sens revivre. je suis comme au premier jour de conduite, excité comme un gosse à Noël devant ses cadeaux. J'enfourche la ferraille et me voilà parti.....
De Normandie à St pierre sur Dives, je navigue au flair, sans carte ni GPS, et je vais à Tarare au nord ouest de Lyon.... J'ai tout mon temps!
Le sourire aux lèvres, même si j'ai un peu froid, le bruit de l'échappement me réchauffe le coeur et le moteur fin prêt délivre son bonheur : L'Aigle, Verneuil sur Avre, Chartres, Orléans, Puis la célèbre N7 un peu chiante, Giens, Nevers, Moulins, pause pipi, Lapalisse, La Pacaudière, Roanne..... Tout se passe parfaitement....
J'avale ce trajet d'une traite, et pendant une dernière pause café (et réservoir pour Titinne), je passe un coup de fil au pote qui doit m'héberger pour la semaine, le temps que je trouve mon bonheur à Tarare.
De bonnes retrouvailles que nous avons faites là! Depuis plusieurs années déjà nous ne nous étions vus, et n'avions échangé que quelques lettres éparses. La joie de retrouver un ami de longue date fut pour chacun de nous l'occasion de fumer..... Ce calumet de paix nous a bien rapprochés, et en fin de soirée (j'avoue), nous sommes bien défoncés!
Cette nuit là je rêverais, allez savoir pourquoi, d'une ballade enduro au milieu du pavot....!
Mais trève de plaisanteries, les choses sérieuses commencent.... Le lendemain, un reflet de fenêtre me tire de mon sommeil. J'ouvre les yeux, m'étire, la gueule enfarinée....Le café est bien noir.... Un petit pétard? Non, finalement il est bon ce café, je vais m'en contenter! C'est en sortant dehors en allant faire pipi (!) Que mes cheveux se dressent et mon visage pâlit..........! Il neige!
C'est magnifique, les arbres ont revêtu un habit éclatant, les toits sont saupoudrés d'un sucre cristallin..... Pas un bruit, pas un chant d'oiseau, pas âme qui vive dans ce petit village (Bully dans la Loire)..... Je rajeunis soudain l'espace d'un instant, songeant bonhommes de neige et batailles d'enfants... Je m'imagine encore, brassant la neige, riant, courant partout pour happer les flocons!
Mais la réalité est toute autre. La guerre est déclarée, Tarare est à 50 kilomètres d'ici... et pas que du billard. Une bonne heure par beau temps, et de super virages en perspective.... Mais aujourd'hui, que peut-il se passer? Non seulement, la route pour rejoindre la N7 au col du Pin Bouchain est étroite et sinueuse, mais en plus, elle a dû rarement voir un chasse-neige dans sa vie!
Je ne me démonte pas car j'adore les défis. Mon pote me dévisage et regarde le ciel. Sans dire un mot, il m'observe alors que je boucle le sac et enfile mon cuir...
"Tu vas pas partir?!..."
"J'vais m'gêner....!"
"T'es fou, tu vas te tuer....!"
J'hésite un instant en répétant sa phrase.... Raison de plus, je suis fou, c'est pas nouveau, alors allons-y! Titinne démarre au quart de tour malgré sa nuit dehors, c'est encourageant... Pas rassurant mais encourageant! J'enfile les gants (les mouffles!), le casque (le bonnet!!) et clac, la première!...
Sur des oeufs, je m'engage. Les flocons sont de la partie, ils sont énormes et la visière ne m'est d'aucune utilité. De toute façon tu vas me dire, vu la vitesse maximum permise, pas besoin de visière.
Au bout de trois minutes, je m'arrête et sors du sac mon arme secrète : mon flash-brassard rouge de cycliste. Au moins me dis-je, on me verra quand même à dix mètres!
C'est l'enfer, ça louvoie, ça dévie, ça dérape, ça glisse à tout bout de champ! La tension monte dès les premiers cent mètres parcourus.....les pieds par terre, 20 km/h, le regard au loin dans le brouillard de flocons... Je distingue juste la route, enfin, je devine la route devrais-je dire!
Concentré à l'extrême, j'effleure le levier pour passer les rapports, je gère la glisse sans toucher aux freins, j'anticipe un maximum les changements de direction,...et je garde les pieds au sol car il n'y a pas de trop avec deux roues instables et deux chaussures boiteuses pour conserver l'équilibre.
Mon cerveau bouillonne. Est-ce bien raisonnable? Il fait froid, mais j'ai bien chaud! Je vous assure, j'ai bien chaud...
Enfin, après plus d'une heure de bataille et à peine plus de 15 kilomètres parcourus, je débouche sur la N7....
Les engins de déneigement sont passés bien-sûr, mais les flocons sont toujours là.
J'entrevois la chaussée goudronnée à travers le blizzard, ce qui me redonne du courage.
Malheureusement, la situation n'est guère meilleure ici, car les poids lourds circulent....(!)
"Mais qu'est ce qu'ils foutent ici bordel. Pouvaient pô rester couchés ceux-là?!!"
T'es engagé mon Piéro, livre bataille, tu les auras, tu les auras tous!
Dans des conditions proches d'une escalade hivernale dans les Dolomites Italiennes (je connais), j'avance à petits tours de roue, mètre après mètre, virage après virage. Evoluant sur le bas côté de la chaussée, les camions me dépassent, accompagnés souvent d'une tornade de neige et d'un coup de klaxon terrifiant. Ils ne roulent pourtant pas vite, mais le souffle qu'ils déplacent sur leur passage me pétrifie... Je respire comme un sportif dans l'effort, je transpire comme un bagnard sous le soleil de plomb de sa prison,......mais j'avance, petit à petit, j'avance.
La descente du Pin Bouchain est scabreuse, dangereuse.... Ahhhh, quand je pense à cette route par beau jour de printemps! Des virages fabuleux pris plein angle, le moteur rugissant et les cales-pieds râclant... Des freinages de brute, le regard qui travaille, la tête qui tourne pour suivre les lacets, les genoux bien serrés, les pneus sollicités......au taquet!
Pas de frivolités aujourd'hui, il faut rester en vie... Reste concentré mon Piéro, perds pas le nord, assure!!! Voilà que je me parle tout haut maintenent, je deviens fou, je parle tout fort sous mon casque. Mes gants et mon cuir sont carapaçonnés de glace, mais j'avance, petit à petit, j'avance!
Et les minutes s'écoulent lentement, très lentement, chacune d'entre elles me semble une éternité!
Finalement, dans ce brouillard opaque, je distingue un panneau,..... Tarare!
Ouf, j'y suis, je suis arrivé.... Je me précipite dans le premier bar venu et commande un litre de café bien chaud! La serveuse me dévisage comme si j'atterrissais de Mars, ou de Neptune plutôt (c'est plus loin!)... Je me débarasse tant bien que mal de mon équipement, la glace tombe de partout, mon cuir est figé comme une statue de marbre.
Qu'on est bien au chaud! Je déguste le meilleur café de tout ma vie avec une intense satisfaction et je sens les regards des clients posés sur moi.... "Oui, c'est à quel sujet???"...
Voilà, j'ai vécu une des journées les plus terribles de ma vie de motard, et imaginez vous que ce récit n'est que celui de l'aller!
Le retour était fort resemblant, ainsi que les jours qui ont suivi car il a neigé quasiment toute la semaine......
Je ne me suis pas laissé choir, j'ai fait mes allers-retours jusqu'à trouver un logement (qui m'a d'ailleurs coûté une chute sur la neige entre Tarare et St Clément sous Valsonne (D56E)), une banque et un comptable. J'ai mené à terme cette mission périlleuse avec mon courage sous le bras et une bonne dose d'inconscience sous le casque aussi.
Je ne regrette rien, c'est une excellente expérience, c'est à vivre comme un mauvais bivouac en montagne dans la tempête, c'est à vivre comme un gros rhume qui se soigne, c'est à vivre pour apprécier l'été à sa juste valeur, c'est à vivre comme n'importe quel voyage à moto!!!