CitationSalut tout le monde,
ca fait un moment que je suis pas passé, je paie ma tournée!!!!
Salut Roul, ça roul...?
Sympa ton avatar de Noyel..... Merci pour la tournée

CitationEn parlant de varape, je suis passé par l'Espigoulier cet après-midi : il y a de la neige sur le pic de Bertagne !

La neige à Bertagne... Que c'est beau...
Ca me rappelle une certaine journée de Février, tout était blanc...
Nous avions passé la soirée au Plan d'Aups avec Raymond, mon compagnon de cordée des Calanques, dans l'espoir de faire à Bertagne, une voie sous la neige...
Une fois n'est pas coutume, la neige dans le sud, il fallait à tout prix en profiter...! Frustrés que nous étions de ne pas courir les Alpes d'un sommet à l'autre, nous avions convenu qu'une sortie à Bertagne par ce temps aurait quelque allure "d'hivernale"...
Et pour donner un peu d'authenticité à cette sortie, nous avions décidé de revivre l'épopée d'une voie ouverte en 1941 par Georges Livanos (dit "le Grec"), grimpeur émérite et talentueux, qui préférait à cette époque se cacher pour grimper plutôt que de faire la guerre aux Allemands...!
Comme lui, nous sommes donc partis en vélo de la Treille (aux portes des collines Marcel Pagnol), lourdement chargés en direction de Géménos, puis avons gravi ce fameux col de L'Espigoulier (plus facile à moto qu'en vélo, je vous l'assure...) jusqu'au plan d'Aups pour passer la nuit chez un ami...
Le lendemain, la blanche poudreuse avait tenu bon sur Bertagne, et les brouillards matinaux léchaient la paroi, lui donnant un aspect charmant et inquiétant... De grandes coulées fondues traversaient les dalles grises et laissaient présager des fissures bien humides.... La forêt de la Saint beaume rutilait sous les couleurs et le scintilement de la neige...
Bertagne est toujours très impressionnante... C'est la "paroi des parois" de provence... Sa hauteur, sa beauté et son charme tout particulier font rejaillir en moi des sensations incroyables chaque fois que je l'approche. Très raide, tout à fait verticale par endroits, voire déversante, cette face de 180 mètres de haut dévoile ses immenses plaques sans défaut, tout à fait lisses, d'un beau gris bien régulier...
Pour une mise en bouche et un échauffement dans les règles, nous jetons notre dévolu sur une voie que nous connaissons bien tous les deux, et qui longe notre objectif du jour... Ce qui nous permet d'estimer "de loin" les difficultés qui nous attendent... "La Directe" se passe sans soucis, nous l'avons gravie une bonne demi-douzaine de fois, et prenons un plaisir sans borne à poser délicatement nos pieds d'une fissure à l'autre, jusqu'au sommet, où une bise franche et glacée nous accueille... La vue est splendide par beau temps, mais les brouillards toujours présents nous empêchent de voir la mer... Tant pis, nous sommes bien chauds, et redescendons en rappel par la voie du "Jardin suspendu"...
Le temps d'une pause déjeuner, d'un petit thé brûlant grâce au réchaud que je n'ai pas oublié, et nous sommes prêts pour la suite...!
Notre voie du jour se nomme "Le Grand Pilier"...
Surplombant dans sa partie supérieure, il plonge d'un seul jet de 150 mètres dans le maquis de chênes situé à sa base. Le rocher gris bleuté, compact, est strié de fines fissures superficielles qui laissent espérer une progression.....jusqu'à mi-hauteur, où une longue diagonale peu engageante rejoint le dernier tiers du pilier et se perd sous un toit dont on ne distingue pas la sortie...!
A l'époque, ce pilier proposait un défi unique pour les grimpeurs provençaux...
Il est aujourd'hui encore très réputé, bien que très rarement gravi à cause de l'équipement "d'époque"!
Déjà mes mains sont moites, et mon coeur s'accélère à l'idée de livrer bataille dans cet océan de rocher... La neige qui coiffe le sommet et les brouillards persistants complètent ce cachet "aventure" et nous met l'eau à la bouche...
Nous échangeons un regard complice avec Raymond, et ne pouvons retenir un sourire... La joie de se retrouver là, dans un silence absolu, foulant le sol de cet endroit merveilleux....
Sans plus tarder, nous nous équipons et entamons avec appétit ce morceau de gâteau saupoudré de sucre glace...
Le pilier tient à sa solide réputation, et nous progressons lentement. L'équipement est vétuste, et les pitons rouillés nous incitent à la prudence... Les coinceurs sont de sortie, les fissures sont trempées, les mains glissent, les pieds sont glacés... Malgré tout, nous sourions, car nous savions que l'affaire ne se ferait pas sans effort, mais l'ambiance est extraordinaire... Ca y est, nous avons quitté le monde, nous voyageons comme des funambules sur le fil des fissures, loin de l'agitation humaine et désordonnée qui reigne "en bas"...
Mais Bertagne ne se laisse pas faire... Elle nous tend ses pièges, et le froid nous mord les mollets, accélérant la fatigue. Les passages sont beaux mais difficiles, et je finis par chuter dans la troisième longueur....sur un mauvais coinceur qui tient comme par magie...! L'émotion est intense, mon coeur bat la chamade et je cède ma place de premier à Raymond, pour qu'il tente à son tour de forcer le passage... Seconde chute, seconde émotion, second coinceur qui tient bon...! Ouf...!
Finalement, les heures s'écoulent et le pilier semble s'étirer vers le haut sans que nous en devinions l'issue... Le temps s'assombrit, les ombres s'étirent, et même sans montre, nous savons qu'il ne faut plus trainer.... Le jour décline déjà et le surplomb final nous nargue, quelques 30 mètres au dessus de nos têtes, sombre, gluant de neige fondue et déjà plongé dans une ombre glacée....
Puis d'un coup, le temps bascule.... Les brouillards sévanouissent, portés au loin par un vent aussi soudain que violent.... Le ciel s'obscurcit, et quelques minutes plus tard, nous sentons les premières gouttes qui martellent la paroi et gifflent nos visages.... Ca va mal...! Nous sommes pendus à 50 mètres de la sortie, avec 100 mètres de vide sous nos pieds, et à la vitesse où les nuages se purgent, nous n'auront pas le temps d'installer le premier rappel avant d'être trempés.....La retraite semble difficile, et la victoire nous est déjà interdite...Fort heureusement, il existe un peu plus bas dans la paroi, sur la voie "la Directe" dont j'ai parlé tout à l'heure, une anfractuosité ridicule, mais abritée de l'eau.... Ne voulant ni l'un ni l'autre se retrouver trempés, nous décidons de nous abriter dans cet abri naturel pour éviter la crève de l'année.... Grâce à un rappel improvisé sur deux pitons rouillés et un coinceur plutôt bon, nous descendons chacun notre tour d'une vingtaine de mètres, puis courons sur le rocher, en diagonale, tel un pauvre pendule accroché à sa ficelle, pour atteindre l'endroit tant convoité....
Nos efforts sont récompensés, et au bout de quelques minutes, nous sommes à l'abri... Un peu serrés, mais à l'abri...!
Et le ciel s'ouvre en deux, vomissant toute l'eau de ses nuages... Une averse sans nom, tellement violente, que de mini-cascades se forment sur la roche... Les fissures dégueulent de grandes trainées liquides qui noircissent le rocher.
Bertagne est rincée, et nous voilà coincés...! La nuit tombe, et nous sommes gelés...! Nous la voulions notre hivernale, nous sommes servis.... Et le vent redouble de violence...
Résignés et sans lumière, nous décidons simplement de passer la nuit sur place. Notre bon souper chaud se résume à quelques figues et trois biscuits mouillés. En guise de chauffage pour nos mains engourdies, Raymond parvient au bout de deux heures, à enflammer quelques branchettes, volées sur un petit pin prisonnier du rocher... Il a poussé ici par je ne sais quel astuce, mais ce soir, nous en aprécierons la ridicule chaleur...
La nuit fût longue, pendus sur nos cordages, les fesses endolories par l'espace exigu... Et c'est dans ce demi-sommeil que nous attendons l'aube.... Si "le Grec" nous voyait, il se paierait une bonne tranche de rire...!
Le lendemain matin, et malgré la fatigue, nous décidons de sortir du piège par "la Directe", étant donné que le pilier est impraticable vu sa difficulté et les fissures gorgées d'eau... Arrivés au sommet, nous n'échangeons aucune parole, d'ailleurs, nous ne parlons jamais beaucoup pendant nos escalades avec Raymond.... Un échange de regards suffit à tout se dire, et notre sourire en coin en dit bien davantage que n'importe quel mot...
Nous sommes heureux, ça se lit dans nos yeux... Même si notre aventure a quelque peu dévié de notre volonté, nous avons trouvé une fois de plus sur ce pic de Bertagne, la vie et les couleurs que nous recherchons tant.
Pour la petite histoire, nous sommes retournés dans "Le Grand Pilier" au printemps suivant, et nous lui avons fait sa fête, la boucle était bouclée....
Depuis cette nuit mémorable, chaque fois que je retourne à Bertagne avec mon cher Raymond, je revis ce fragment de vie intense, et nous le partageons...en silence...
Bertagne impose le respect, jamais je ne me lasserais de venir caresser ce doux rocher unique dont je suis amoureux.
Oulàààà, ben je me suis un peu enflammé là....

J'espère que c'est pas trop pénible à lire.... Moi en tout cas, je me suis régalé.....
Pis comme on est au bar des pochtrons, je prendrais bien un petit génépi, en l'honneur de Bertagne...