Ma deuxième histoire ne me place pas non plus au guidon, mais elle est extrêmement dure alors âmes sensibles, abstenez vous.
Elle s'est produite en 2008, un été où je travaillais comme brancardier avec les secours aprés une année d'étude en médecine ( et bien évidemment plusieurs formations aux premiers secours, spécifiquement pour les grands brûlés et les accidentés ). Comme souvent en région parisienne, les pompiers sont parmi les secouristes les plus sollicités pour des incidents ménagers et les accidents de la route. Ce soir là m'a marqué à vie: c'était un soir de la mi-juillet, un peu après 21h30. Il faisait encore chaud et très clair à l'extérieur quand on a reçu l'appel: on nous signalait un accident impliquant une moto et un semi-remorque sous le tunnel de Saint-Cloud.
Notre véhicule part, et un des secouristes me mets en garde: "je te préviens, généralement moto et camion, c'est pas beau a voir. Si jamais tu te sens mal, préviens nous et n'hésite pas a t'éloigner, on t'appellera si on a besoin de toi. Y a pas de honte a avoir, la route c'est souvent horrible."
Relativement confiant, je lui ai répondu que j'avais déjà été sur des accidents très graves et que je pourrai faire ce que j'avais a faire en toutes circonstances... en y repensant aujourd'hui, je me dis souvent que les accidents les plus horribles dépassent l'imagination la plus morbide que l'on peut avoir.
Je sens le fourgon ralentir et on commence à préparer le matériel de premier secours, les bouteilles d'oxygene, le brancard... on descend de la camionnette et la première chose qu'on voit sous le tunnel relativement dégagé, c'est la moto coincé dans la partie qui sert de pied quand la remorque du camion est posée a terre. le cadre forme un angle qui défie l'entendement.
Le chauffeur, un étranger qui devait certainement traverser la France avec un timing bien plus serré que nos chères 35h est avec un agent de police. Il ruisselle à grosse goutes, de sueur et de larmes. Il semble usé, éprouvé mais pas blessé. Mon regard balaie alors la chaussée machinalement. Prêt a ramasser les morceaux, je passe dans un état d'esprit qui me laisse indifférent a tout, hermétique au monde extérieur.
Ceci se passe très vite, l'espace de quelques secondes. Une analyse banale d'un lieu d'accident. Mon attention est attiré par une policière livide qui nous fait de grands gestes. Elle nous hurle de nous presser et d'apporter du matériel de désincarcération. C'est seulement en arrivant a son niveau qu'on a compris.
Personne ne pouvait voir le motard de là ou nous nous tenions avant, et pour cause: il était coincé entre les deux roues de la double roue arrière du poids lourd. Compressé et désarticulé comme une poupée de chiffon, son corps aussi présentait plusieurs angles qui défiaient l'entendement. C'est son casque, pris entre les deux pneus qui avait littéralement entrainé le reste de son corps autour de l'axe de roue, face vers l'extérieur.
C'est en posant l'équipement près de la remorque que la plupart d'entre nous a réalisé: les bruits/paroles qu'on continuait d'entendre ne venaient pas de la policière. Ce chiffon désarticulé était encore en vie.
Soulever la remorque en pleine charge d'un poids lourd en descente à la sortie d'un tunnel demande énormément d'équipement, et c'est impuissant ( mais en essayant quand même une découpe sauvage de l'axe des roues ) que nous avons vu progressivement s'éteindre la vie de ce motard, sous nos yeux.
Il était conscient, il voulait parler, sentir une présence près de lui, savoir que quelqu'un prendrait soin de ses affaires. Malheureusement, même en arrivant plus tôt et avec tout l'équipement du monde, personne n'aurait rien pu faire tant il ressemblait plus à une masse informe sanguinolente qu'a un être humain après s'être fait écraser plusieurs fois par les maudits pneus qui l'ont emprisonné.
Dans un sens, je suis heureux de ne jamais avoir vu son visage, car je pense que je n'aurais jamais pu l'oublier. Je pense à lui chaque fois que je double un poids lourd, et je pense aussi au chauffeur de ce camion, qui doit vivre avec cette horrible vision chaque fois qu'il reprend la route certainement. d'après la police, le motard a été poussé sous le camion...
Sur le retour, le camion était parfaitement silencieux. Personne n'a dit un mot jusqu'au lendemain, et il a fallu énormément de temps avant qu'on ose reparler de cet accident. Les policiers aussi étaient très mal, 3 d'entre eux se sont écartés pour vomir et un motard de la gendarmerie qui passait par hasard et s'est arrêté à fait un malaise et a été mis sous oxygène. Moi même je me suis senti terriblement mal en remontant dans le camion une fois l'urgence de la situation passée...
Encore quelques histoires qui me trottent dans la tête mais je trouve celle ci particulièrement dure, alors je posterai les autres plus tard... ( ça fait du bien d'en parler quelque part )
V a tous