6h00 du matin...
Voilà déjà un bon moment que je tourne comme un lion en cage sous mes draps. La nuit a été courte, pénible, j'ai vu défiler les heures, et même les minutes.
Oui, j'ai mal dormi, moitié malade, moitié excité par cette journée de roulage qui s'annonce.
Mais quel motard normalement constitué parvient à sombrer dans un profond sommeil, lorsqu'il sait que le soleil brillera au matin, et que son sac est déjà bouclé pour le départ...?
Pas moi en tout cas.
Bon, j'en ai ma claque de chercher Morphée, qui ne viendra pas. Je me lève d'un bond, saute dans la douche, déjeune copieusement, attrappe le sac, le casque, Tomtom, et c'est parti pour la journée...!
Et quelle journée les aminches...
Je dois retrouver notre cher Raoul à Saint André des Alpes à 10h30 pour une balade, OK... J'ai presque trois heures devant moi avant le rendez-vous, je décide donc une petite boucle pour chauffer les pneus.
ca fait quatre jours que je n'ai pas pris la moto, autant dire que je ne sais plus conduire...
Donc, pour me mettre en jambes, je file vers Nice et attaque le petit col de Vence, qui file vers le nord. La partie est tranquille, quelques épingles propres, deux ou trois virages techniques mais rien d'insurmontable.
Bref, l'échauffement est parfait, et le paysage est digne du désert de Mojave.
A l'ouest de la vallée menant au Mercantour, un grand plateau pelé et rocailleux se déroule sur plusieurs hectares. Il n'y a pas âme qui vive, hormis quelques maisonnettes isolées et plus ou moins abandonnées.
C'est un furieux contraste avec cette foutue côte d'Azur, ou justement, l'azur n'est plus.
Côte d'azur de mon coeur, mon cul...! Côte d'Azur, côte masure, engluée dans la crasse et la chaleur étouffante, surpeuplée par une incroyable densité d'humains de tous poils. Mélange de races, de moeurs et de vies différentes...
Les nantis richissimes, les familles modestes, les hommes d'affaire et les clodos s'y ébrouent dans un insolent tintamarre, le tout infesté de deux-roues aussi impolis qu'imprudents...
Au fil des virages, je me libère de cette fange répugnante, mais aussi de cette succession de journées de travail au coeur de la fourmillière humaine. Je commence à respirer, à sentir mes poumons se gonfler d'air vivifiant et sauvage.
Bientôt, et avant même d'arriver à Vence, j'ai oublié le monde, je me sens bien, j'ai oublié les odeurs, les fumées, le bruit et les agressions de la ville.
C'est tellement bon de rouler, tout simplement, sourire à chaque tour de roue et mesurer la chance d'être seul, juste entouré de garrigue et bercé par le ronronnement du moteur.
Quelques virages avant le col, le raclement du repose pied sur l'asphalte me confirme la fin de l'échauffement.
Je suis prêt à en découdre, et je hausse un peu le ton. Le moteur répond dans l'instant et me propulse vaillament d'un sympathique roulement de tambour feutré.
Il n'en faut pas plus : je souris, j'adore cette bécane... Elle n'est ni sauvage ni poussive, ni violente ni douce, elle est.....juste comme il faut.
Ma poitrine résonne au rythme des pistons, et je suis maintenant parfaitement serein pour vraiment attaquer la journée.
Direction... Plein ouest.
Bof bof jusqu'à Thorenc... La vue est sympa, je roule au pied de la station de ski de Gréolières, mais la route n'est pas extraordinaire. Pas de quoi bander, juste quelques belles grandes courbes avalées plein badin, histoire de vite trouver autre chose à me mettre sous la dent...
Les virages, je les trouverais un peu plus loin, en changeant à nouveau de cap entre Thorenc et Vascognes... Vindious, je n'étais jamais venu par-ici, mais j'ai rudement bien fait. Une route parfaite comme je les aime : étroite, déserte, défoncée et sauvage...!! De quoi sortir un peu le grand jeu, et surtout ouvrir les yeux car les gravillons et autres nids de poule sont très fréquents.
L'heure tourne, et, arrivé à Sigale (nan nan j'ai pas fait de faute...) je bifurque à nouveau vers l'ouest pour me rapprocher du point de rendez-vous... Je file vers briançonnet et Demandolx pour rejoindre la N102 vers St André les Alpes...
J'avais repéré cette route sur la carte en préparant ma sortie, et je ne suis pas déçu. le bitume est plutôt en bon état, les virages sont sympas, sans stress, et le paysage est des plus agréable.
La proximité du lac contribue pour beaucoup au bien être, et on est plus tenté de flâner pour aprécier les couleurs que d'arsouiller comme un goret.
Au détour d'un tunnel, la surprise d'un petit barrage vient à point pour une courte pause. Le temps de me poser, de jeter un oeil sur l'édifice.
Vache...! C'est profond quand-même... Du coup, vous me connaissez, dès qu'il y a un truc vertical, ça m'intrigue, forcément.
Je repère les échelles metalliques fichées dans le rocher qui descendent jusqu'au pied du barrage, et malgré l'interdit, je saute la barrière pour y descendre.
Enfin voilà quoi, je fais ma petite expédition, je file vers le fond de cette brèche rocheuse, comme aspiré par les entrailles de la Terre.
Le temps d'inspecter l'ouvrage, m'extasier sur la profondeur de la gorge, je jette quelques sifflets sur les parois de béton pour profiter de l'écho, et je remonte.
Il est maintenant l'heure de retrouver mon compagnon de route si je ne veux pas être en retard...
Saint André des Alpes, village convivial, presque calme. L'ombre des platanes attire les badauds pour une petite causette, voire un café en terrasse...
Je leur emboite le pas et me cale tranquille devant un kawa en attendant la garde Italienne...!
Après quelques minutes de rêverie, le bruit d'un tracteur ricoche entre les murs et parvient jusqu'à la place. Pas de doute possible, il sagit bien là d'un gros bicylindre, et je ne tarde pas à voir se pointer notre cher Raoul, sourire aux lèvres.
Un p'tit café (un de plus), un brin de bavardage, on se fait un point sur l'itinéraire à suivre et on est parti.
Raoul et moi sommes tombés (nan nan, c'est pas c'que vous croyez...) d'accord : on se promène.
La journée est placée sous le signe de la balade, rythme paisible, moins on va vite et plus on profite du paysage.
Avis aux fous furieux du poignet, essayez un de ces quatre, vous verrez... On peut prendre un immense plaisir à moto, même en se trainant comme des limaces. Le moteur travaillant au couple, la force tranquille et l'esprit serein, il suffit de se laisser aller au fil des odeurs,
de se laisser transporter par les courbes dans un mouvement fluide et coulé. C'est du bonheur en barre, un plaisir simple et réel. J'avoue, parfois, je me verrais bien en Harley. Se trainer la bite au claquement du longue course, profiter des "good vibrations" tout en comptant les nuages, s'il y en a...
Bref, nous partons donc bon pied bon oeil, cap nord-est vers Colmars (pas le Colmars de chez Pierrot en Alsace bien-sûr...) pour rejoindre l'air frais de l'altitude et le col d'Allos...
Quels paysages les aminches...!
Après avoir passé Allos et la Foux, nous attaquons tranquillement une route à chèvres Papouale qui grimpe, qui grimpe et qui grimpe encore... 30 km/h de moyenne au moins, pour ce petit morceau à l'ambiance très Alpine, où quelques plaques de neige sur le bas-côté sont même là pour nous rappeler qu'on n'est pas sur la plage...!
A la sortie de la Foux d'Allos, le départ du col..
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Quelques clichés volés à cette nature incroyable...!
On distingue en bas la fameuse route à chèvres du col d'Allos...
La pause s'impose au col, où nous profitons pleinement de la vue plutôt sympathique qui nous est offerte...
Après avoir causé le bout de gras avec un passionné de Harley en vélo (sa meule devait être en rade, il a dû pédaler...
) nous reprenons la route et tombons de l'autre côté de cette "bosse" par un tracé fort agréable... Toujours cette route étroite et boudinée qui serpente de manière farfelue, mais plus charmante encore...! En effet, de ce côté, le paysage se fait plus varié, les résineux nous font de l'ombre, et jouent à cache cache avec les Alpes qui s'étalent devant nos yeux...
On aura simplement le regret de ne pas avoir fait le trajet dans l'autre sens, ce qui à notre avis, vaut beaucoup plus le coup qu'à la descente... Tant mieux, ce sera l'occasion d'y retourner...
Après ce beau morceau, nous redescendons sur Terre... Retour à la civilisation puante de Barcelonnette, d'où nous filons derechef en suivant la vallée de l'Ubaye. Bitume nickel, les grandes courbes rapides suivent le fil de la rivière pour une vingtaine de bornes sympathiques et reposantes.
Bien que peu encaissée, la vallée de l'Ubaye offre un paysage agréable, et je me prend à rêver de pêche à la mouche... Alors que nous roulons comme de vrais touristes, je suis tiré de ma torpeur par un jeune excité de la pédale. Un BM avec spoiler et aileron de la Nasa me colle au train, bien décidé à nous provoquer en duel dans un ronflement de moteur ridicule...
Pas de chance pour lui, nous ne lui ferons pas ce plaisir, car Raoul, ayant repéré l'imprudent, se range sur le bas côté pour le laisser filer...
Bien vite, la route reprend un peu d'altitude, et nous décidons une petite pause en arrivant sur un point de vue extra du lac de Serre Ponçon.
Me reviennent alors en mémoire des instants de ma jeune jeunesse : ce lac était la pause obligatoire pour mes parents et moi lorsque nous allions rendre visite à cet oncle qui habite Briançon... Je me vois encore à l'arrière de la voiture en gémissant : "C'est quand qu'on arriiiiive......"
Du coup, la rêverie prend le dessus. A l'évocation de Briançon, je voyage déjà en pensant au Lautaret et au célèbre Galibier, truffés de virages de rêve à portée de roue...!
Allez Raoul, un p'tit détour...?!!
Nan...?
Bon OK, on continue....
Et pour me consoler, Raoul me tend les clés du Caponord, histoire que je goûte à la langue du bicylindre Italien...
Et on peut dire qu'il cause bien, son char d'assaut...! Bon, les roulements de colonne sont complètement cuits, et rendent la machine plutôt rétive à la mise sur l'angle, mais le moteur est un véritable plaisir. Pas très souple en bas, mais diablement efficace par la suite...!
La force tranquille avant 6000 tours, et le tracteur pulling au delà... Ca tracte fort et de manière très efficace, tandis que les pinces Brembo rassurent à chaque instant avec une efficacité et un ressenti très pertinent. Bref, avec quelques kilomètres dans les mains, j'ai senti l'énorme potentiel de cet engin pour abattre des bornes sans fatigue et sans se trainer.
Il reste que c'est un vrai tank par rapport à mon petit vélo, c'est lourd, pataud et cela demande un poil d'anticipation pour bien se placer en courbe... Et puis ça boit........
Suite à cette petite réjouissance, on se fait la pause bouffe, à l'ombre dans un chemin de terre... Dommage pour l'endroit choisi, la vue n'est pas dégagée, mais nous avons tellement chaud et faim que l'on décide de ne plus bouger...
Nous avalons nos portions comme si nous n'avions pas mangé depuis trois jours. Les virages, ça creuse...!
On en profite donc pour papoter un peu, critiquer le forum et les membres, donner nos points de vue sur quelques modèles de bécane... Bref, une discussion de motards quoi.
Silence..... (ça, c'est la pause digestion...)
Raoul a eu l'excellente idée de fouiner dans une bible sacrée, et nous a dégoté une portion de route pour rejoindre Digne par un chemin détourné.
Après quelques virages sans intérêt, et un groupe de motards salué, nous prenons à doite une départementale à première vue banale...
Seulement, au détour d'un virage, nous tombons sur une ligne droite, au fond de laquelle le paysage se resserre sous forme d'une porte rocheuse majestueuse...!! Raoul a raté ici une photo merveilleuse, où vous auriez vu ces deux aiguilles de calcaire plantées là comme les gardiens éternels des lieux. Magnifique...! Je jubile sous mon casque en imaginant la suite, et nous ne sommes pas déçus.
Nous nous enfonçons dans les gorges du Bès, un petit torrent splendide qui, au fil des millénaires, s'est creusé un chemin au coeur du rocher. Les formes sont élancées, la vallée est encaissée, il y fait bon et frais, à l'ombre de la végétation, et les moteurs résonnent le long des parois où la route a été littéralement percée dans le caillou....
Bien-sûr, une nouvelle pause s'impose pour se tremper les pieds et prendre quelques clichés...
Nous sommes comblés... Un coin de nature comme celui-là reste gravé dans les mémoires (et dans celle de Tomtom aussi, d'ailleurs...), c'est un coin à ne pas rater pour qui aime se promener dans les veines de la Terre... Car il s'agit bien d'une veine, une profonde artère au fond de laquelle coule le sang des pluies. A moindre échelle bien-sûr, mais ces gorges du Bès m'ont rappelé dans les formes les extraordinaire gorges de la Bourne, coin bien connu de Gand' et des Savoyards comme Shot74 et son pote David. J'avais eu l'occasion de glisser entre ces rochers en allant à la concentre 2008 avec eux, et ce morceau de route fait désormais partie de mes plus grands plaisirs de motard...!!
Malheureusement, l'heure tourne et nous devons nous arracher de ce paradis pour rejoindre Digne et terminer la balade...
Retour en selle, démarrage des moteurs, le charme s'envole et nous reprenons notre "tissage" de virages...
Je zappe le passage Digne, sans intérêt... On peut juste dire que Raoul s'y est "perdu"... Enfin, perdu est un bien grand mot, un petit doute sur un rond point, je prend le relai en demandant à Tomtom la bonne direction... Nous emmanchons par un petit morceau de la route Napoléon, bien agréable avec un bitume de rêve et quelques grandes courbes rapides, avant de bifurquer vers Riez par un tronçon sympathique. Malgré les voitures assez nombreuses dans une belle montée, je ne résiste pas très longtemps à la tentation, et à la sortie d'une épingle, je tombe deux rapports pour déposer Raoul (en espérant ne pas t'avoir surpris...). Quelques pif-paf et dépassement plus loin, je suis sur le plateau...!
Ce sera mon seul coup de folie de la journée, et j'avoue que cette petite montée en régime m'a donné bien du plaisir......pendant cinq minutes...
Puis, notre balade se termine. Nous faisons un dernier arrêt à Riez pour prendre un rafraichissement, papoter un peu et se serrer la paluche.
Voyant l'heure, je décide de continuer sur la lancée du plaisir, et en quittant Raoul, je file vers Moustiers sainte Marie pour.......... les gorges du Verdon...
Va pour la route sud, la plus longue, la plus belle et la plus jouissive...
Au bout de quelques virages, j'aperçois devant moi deux lascars en train d'en découdre. J'en profite pour me sortir un peu les doigts du cul, je les rattrape, pour m'apercevoir qu'en fait, ils se traînent lamentablement.
Bon, tant pis, je les suis à bonne distance, car j'ai l'impression qu'ils sont tous les deux à l'agonie sur chaque prise d'angle, et je me méfie de ce genre de "Fangio"...
Après quelques bornes, ils décident un arrêt, je fais de même....
Petite discussion :
"T'ain, salut... T'as vu comme on emmanchait grâve mon pote...!! T'avais du mal à nous suivre hein...?! Allez, avoue, on y allait fort quand-même... "
"Ouais ouais.... Pas trop mal...! (je reste silencieux pour ne pas les vexer...)"
On papote cinq minutes, mais il fait tellement chaud que j'ai envie de repartir. Les deux gars font la moue, je crois qu'ils seraient bien resté à siester dans un coin, mais par fierté, ils m'emboitent la roue en faisant hurler les moteurs... Je hoche la tête, prend un coup de sang et colle un bon coup de gaz...
Au bout de quatre virages....plus personne....
Ah ouais, pour sûr, ils emmanchaient "grâve"....
Je les ai proprement laissé sur place, et je crois bien qu'ils ont dû faire demi-tour pour la sieste...
Pour finir cette bonne petite journée de roulage, après le Verdon, je rallie Castellane et la route Napoléon, que je quitte avant la descente sur Grasse... Et j'enquille avec plaisir les gorges du Loup, somptueux morceau de route, là encore percée dans le rocher par endroits...
Et retour au bercail après environs 11 heures de route et un peu plus de 500 kilomètres de bonheur...
Merci à Raoul d'avoir partagé cette journée merveilleuse, merci au mécano météo pour son cadeau soleil, merci à Michelin pour ses cartes routières, et merci à vous de m'avoir lu...!
A bientôt, pour une nouvelle aventure.
Edit Raoul : ajout du roadbook de la journée (avec passage par le verdon) et fichier *.itn en pièce jointe